vendredi 16 juillet 2021

[Interview] Philippe Pratx

 

Hello !

J'espère que vous allez bien. :)

Le mois dernier, je vous ai parlé du roman Le Scénar de Philippe Pratx, que j'ai bien aimé. Il a accepté avec plaisir de répondre à mes questions. 

Vous pouvez découvrir l'auteur et son univers, sur son site : http://www.philippepratx.net.

Encore un grand merci à l'auteur d'avoir accepté, et je vous laisse découvrir ses réponses ! ;)


- Bonjour Philippe ! Merci de m'accorder cette interview. Pouvez-vous vous présenter ?

- Pour aller au plus simple, je dirai que je suis enseignant depuis près de quarante ans, en train de terminer ma carrière au Lycée Français de Cali, en Colombie. Et depuis l’enfance passionné par l’écriture. Mes premières publications, poétiques, datent des années 70, dans diverses revues. Pour plus de détails, je vous invite à consulter cette page : http://philippepratx.net/auteur.htm

 

 

- Qu'est-ce qui vous a donné envie d'écrire ? Est-ce que ça a été à un moment particulier de votre vie ?

- L’envie d’écrire, ou le besoin, s’est manifesté très tôt, autour de l’âge de dix ans. Découvrir avec étonnement que la poésie, riche de ses prestiges et de ses pouvoirs de séduction, pouvait surgir de mes propres mots, après m’avoir intrigué, interpellé, charmé dans les mots des autres, a été une révélation. Et dès lors les mots et la poésie m’ont accompagné. Quelques années plus tard, c’est toujours à travers la poésie, l’écriture poétique, souvent en prose, que s’est construit mon rapport au monde et à moi-même, comme une nécessité évidente et vitale. 

 

 

- Quel est votre roman favori ? Et votre auteur favori ?

- Depuis des décennies – et je crois à présent que cette lumière m’accompagnera jusqu’au bout – je peux dire que le roman qui m’apparaît comme la plus vibrante réalisation littéraire est Paulina 1880, de Pierre Jean Jouve. Cet univers baudelairien où sensualité et spiritualité s’affrontent et s’épousent, cette narration éclatée et miroitante sous la lumière chaude d’une Italie intemporelle, cette profondeur dans la mince épaisseur d’une poésie légère et tellement humaine… tout cela est inépuisable et renouvelle sans cesse un bouquet de plaisirs à chaque relecture. Cependant, si je dois choisi un « auteur favori », c’est davantage vers Villiers de l’Isle-Adam que je me tournerai, comme vers une sorte d’esprit fraternel, chez qui je retrouve à chaque détour de page nombre de mes propres aspirations, jusque dans ses envolées ironiques fustigeant – déjà au XIXe siècle, les aveugles et viles prétentions d’une société matérialiste en marche (!) vers la déshumanisation.

 

 

- Avez-vous des projets en cours ou dans le futur ?

- Oui, bien sûr. La publication d’un ouvrage poétique (de forme hybride, tenant à la fois de la narration et du recueil) est prévue aux éditions belges Le Coudrier, en septembre. Il sera intitulé Karmina Vltima. Un recueil poétique, Canto humilde, inspiré par la Colombie où je réside, pourrait paraître par la suite, sans certitude. Un recueil de nouvelles est en cours de création, tandis que la lente gestation d’un roman se poursuit.

 

 

- Vu que vous habitez en Colombie, si vous allez écrire des ouvrages se déroulant en Colombie (fiction, roman historique, etc...) ou même nous raconter votre expérience dans ce pays (pourquoi pas un nouveau road-trip?) ? Vous m'avez dit qu'un recueil poétique inspiré de la Colombie allait paraître en septembre, mais est-ce qu'on peut s'attendre à d'autres ouvrages incluant la Colombie ?

- Le livre poétique prévu pour septembre n'est pas celui qui est en lien avec la Colombie. Ce dernier n'est pas encore programmé. Un extrait, seulement, sera publié dans un ouvrage collectif consacré au mouvement social qui vient de profondément marquer le pays. Le livre devrait s'intituler /Voces en primera línea/ et rassemblera des textes très divers (fictions, poésie, essais...) ainsi que des photos. Cela devrait se faire sous peu, et c'est une initiative des éditions El Silencio. Par ailleurs, le roman que j'évoquais, dont l'action principale doit se dérouler en Inde, devrait comporter un personnage colombien...

 

 

Maintenant, nous allons parler de votre dernier roman intitulé "Le Scénar". D'où vous est venue l'idée de ce roman ?

- A l’origine de ce roman, il y a d’abord le scénar lui-même, c’est-à-dire le texte du scénario mis en abyme dans le récit qui s’est construit autour. Et l’idée du scénar a pour origine un road trip personnel, et notamment une circonstance inattendue : dans la cour du château de Plumlov, en République Tchèque, un rassemblement de Velorex, ces véhicules si particuliers dont l’un est en réalité le véritable héros du scénario. Un rassemblement au cœur duquel nous nous sommes retrouvés par hasard, ma femme et moi. Cela, c’est le point de départ. Ensuite, bien sûr, une multitude d’autres sources d’inspiration ont contribué à la création du livre.

 

 

- Quel a été le processus d'écriture pour "Le Scénar" ?

- Comme je le disais, le récit cadre, mettant en scène les étudiants et le personnage de Lola, s’est structuré autour du scénario intitulé Velorex. Celui-ci a été écrit à partir d’un schéma linéaire, simple, dicté par le parcours géographique du road trip des personnages principaux, Alena et Olivier, depuis Plumlov jusqu’à une ville non identifiée d’Occitanie, en passant pas la Slovaquie, la Hongrie, Ljubljana, Venise. Le récit cadre, lui, a été écrit comme une constante interaction entre le monde « réel » (celui des étudiants) et le monde « fictif » du scénario. Comme l’avertissement qui ouvre le livre le précise : il s’est alors s’agi de proposer au lecteur une réflexion sur le rapport entre « réalité » et « fiction ». Une réflexion que le lecteur est invité à faire de lui-même, sans guide et sans garde-fou. 

 

De même que dès  la quatrième de couverture il est mis en doute que Le Scénar soit une histoire, il faut aussi que le lecteur puisse parcourir et terminer le multiple chemin (car il est un et il est multiple) de ce roman en se demandant où il mène. L'avertissement sert de plan de route et incite donc à s'interroger sur les rapports entre réalité et fiction, etc. S'interroger, c'est construire soi-même ses doutes, ses éventuelles réponses, et son propre message. Nombreux sont les écrivains qui ont déjà revendiqué, ou simplement constaté, le rôle créatif du lecteur. Michel Tournier affirmait pas exemple de façon très simple : "Le lecteur est le co-auteur du livre". Dans Le Scénar, cela va même jusqu'à inciter le lecteur à se soumettre lui-même à un test : "Malgré tous les obstacles que l'auteur (ou le narrateur) dresse entre moi et l'histoire, moi et les personnages... suis-je à même d'adhérer à cette histoire, de m'approcher de ces personnages, d'adhérer à l'illusion, de faire la part du réel et de l'imaginaire...?" Ce test n'a nullement pour but de distinguer "bons" et "mauvais" lecteurs, mais, de façon ludique, de se connaître soi-même davantage. En tant que lecteur, bien sûr, mais aussi en tant que personne... puisque derrière ces interrogations s'ouvre un autre abîme : "Qui suis-je ? Que sommes-nous ? Quel est réellement mon moi ? Quel est mon moi réel ? Mon moi réel existe-t-il ? Ce qu'est réellement mon moi ne comporte-t-il pas une forte proportion de fiction ?"... 

 

Il y a bien sûr d'autres fils de "messages" interrogatifs dans le livre : un fil politique, un fil de réflexion sur l'état du monde, un fil psychologique, etc. Rien n'y est univoque, tout y est en mouvement, en devenir, parce que tout y est vivant, avec ce que la vie comporte qui peut plaire, qui peut déplaire, qui peut agacer, qui peut enthousiasmer. C'est donc surtout un roman qui, comme le précédent, est à lire au second degré, et à relire. Ou encore, vu sous un autre angle, c'est un livre à aborder avec un état d'esprit fondamentalement différent de celui que l'on adopte pour la littérature de grande consommation, la littérature Coca Cola : le livre y est un produit superbement conditionné, conçu selon des recettes éprouvées garantissant le plaisir et l'absence de déplaisir, conçu si possible pour entrainer une addiction anesthésiant la volonté et la distanciation lucide... Mais bon...

 

 

- Avez-vous fait beaucoup de recherches pour le road-trip (le Vélorex, la Tchécoslovaquie, etc...) ? 

- Quelques recherches, oui, techniques par exemple, sur le véhicule. Mais l’essentiel repose sur l’observation « sur le terrain » et les souvenirs.

 

 

- Est-ce que vous connaissiez les codes d'écriture d'un scénario ou avez-vous dû faire des recherches ?

- Je m’intéresse depuis fort longtemps au cinéma et les codes d’écriture scénaristiques ne m’étaient donc pas inconnus.

 

 

- Concernant vos "interruptions" dans l'histoire : est-ce que c'est venu naturellement lors de l'écriture ou c'était prévu ?

- Le flux narratif du récit cadre est en effet maintes fois « interrompu » par les interventions envahissantes d’un narrateur bavard. Ces interventions sont sciemment destinées à briser l’illusion romanesque, justement pour inciter à la réflexion dont je parlais précédemment. Il s’agit, dans une certaine mesure, d’une application du principe de distanciation cher à Brecht et mis en pratique dans son théâtre. 

 

 

- Quelles ont été vos inspirations pour les personnages ?

- Comme l’aurait dit Gide, tout personnage puise au moins une partie de ses racines dans l’auteur lui-même. La porosité de la frontière entre « réalité » et « fiction » suppose aussi une porosité de celle qui sépare le « je » de « l’autre », ainsi que l’a bien perçu Rimbaud. Il me semble que chaque personnage est ainsi l’enfant hybride d’une partie de soi-même et d’une observation de l’autre, que cet autre soit lié à notre entourage ou à notre culture (par exemple, dans le livre, les personnages d’Erzsébet et du sosie de Trotski). 

 

 

- À quel personnage vous êtes-vous le plus attaché ?

- J’évoquais précédemment la distanciation brechtienne. Elle suppose un détachement et de fait semble l’ennemie de tout attachement, en particulier à un personnage. L’attachement à un personnage est un phénomène qui concerne fréquemment les auteurs, mais aussi les lecteurs. Il fait partie des plaisirs de la lecture, il alimente l’illusion romanesque (ou cinématographique, d’ailleurs) et, on le sait, repose souvent sur une sorte de principe d’identification. S’identifier et s’illusionner sont fondamentalement nuisibles à une lucidité de la lecture. Mais on s’en accommode d’autant plus facilement que l’on y trouve un grand plaisir, comme je le disais. La littérature de grande consommation l’a bien compris, qui fabrique sur mesure des héros voués à devenir les doubles idéalisés, ou plus troubles, des lecteurs avides de vie par procuration. Jusqu’à l’addiction. A l’image du fast food. C’est ce que j’appelle la littérature Coca Cola, que je décrivais précédemment. Le Scénar est conçu dans un esprit foncièrement étranger à cette démarche addictive et, disons-le, commerciale. Je ne dis pas qu’il est impossible de s’attacher à un des personnages – on voit d’ailleurs comment Lola s’attache, par amour, et non par identification, à un des héros fictifs de Velorex – mais le livre invite plutôt à s’interroger, encore une fois, sur les liens qui se nouent entre lecteur, ou spectateur, et personnage de roman ou de film.

 

 

- Quel(s) conseil(s) d'écriture pouvez-vous donner à ceux qui écrivent ou qui souhaitent se lancer ?

- Être soi-même, en sachant que « soi-même » ne veut certes rien dire, comme je l’expliquais précédemment, mais que c’est le meilleur guide pour faire autre chose que de la soupe… Oser entreprendre, sans attendre de cadeau de qui que ce soit… Jouir de l’acte même de créer.



J'espère que cette interview vous a plu. :)
Belles lectures et bel été !
Léane

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